Un salarié, même s'il est directeur, a le droit de critiquer la politique de son entreprise basée sur le partage de la valeur « fun & pro », nom donné à des pratiques liant promiscuité, brimades et incitation à divers excès et dérapages.

La société Cubik Partners, cabinet de conseil et de formation en lean management, affichant des clients prestigieux tels que la SNCF, la RATP, EDF, Lafarge ou encore Bolloré, a érigé une culture d'entreprise dite « fun & pro », car « il faut bien savoir s'amuser en travaillant ». Il le faut tellement que, lorsqu'un consultant, récemment promu directeur, refuse de se conformer au partage de ces valeurs, il est licencié pour insuffisance professionnelle. L'occasion pour la Cour de cassation de rappeler que le salarié jouit, dans l'entreprise et hors de celle-ci, de sa liberté d'expression et d'opinion, et qu'il a le droit de ne pas être fun (Cass. soc. 9 nov. 2022, n°21-15.208, Cubik Partners).

« Fun & pro », une drôle de culture d'entreprise

En quoi consiste la valeur « fun & pro » prônée par cette entreprise ?

Au mieux, il s'agit d'une triviale culture de l'apéro. Les salariés étaient priés (en réalité, obligés) de participer à des pots de fin de semaine lors desquels les dirigeants faisaient couler l'alcool à flots. Ces soirées finissaient par « une alcoolisation excessive de tous les participants ».

Au pire, on constate des pratiques liant « promiscuité, brimades et incitation à divers excès et dérapages », comme des simulacres d'actes sexuels ou l'obligation de partager son lit avec un autre collaborateur lors des séminaires.

Drôle de valeur, ni très fun, ni très pro, qui banalise l'intrusion dans la vie privée des salariés et fait fi de l'obligation de sécurité de l'employeur.

Droit du salarié à ne pas adhérer aux valeurs de l'entreprise

Au-delà des excès de ces pratiques internes, la Cour de cassation rappelle qu'un salarié, même cadre supérieur, a le droit de ne pas adhérer aux valeurs de l'entreprise.

Il peut critiquer la politique de son entreprise. Ceci participe de sa liberté d'expression et d'opinion, qui est une liberté fondamentale (art. L. 1121-1 C. trav., art. 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, art. 10 de la Convention européenne des droits de l'homme).

Cela ne constitue pas un manquement professionnel pouvant être reproché au salarié, y compris s'il est directeur (Cass. soc. 14 déc. 1999, n°97-41.995 ; Cass. soc. 30 nov. 2017, n°16-21.249). 

À savoir

Ce n'est qu'en cas d'abus dans l'exercice de sa liberté d'expression que le salarié peut être sanctionné. Il y a abus s'il tient des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs.

Nullité du licenciement fondé sur la violation de la liberté d'expression

Un licenciement fondé, même en partie seulement, sur le comportement critique du salarié et son refus d'accepter la politique de l'entreprise est nul.

La nullité du licenciement permet au salarié d'obtenir :

  • soit sa réintégration dans l'entreprise, accompagnée du paiement des rémunérations qu'il aurait dû recevoir depuis son licenciement ;
  • soit une indemnité pour licenciement nul, dont le montant s'élève au minimum à six mois de salaire et qui s'ajoute aux indemnités de rupture ( L. 1235-1-3 C. trav.).

Le salarié échappe ainsi au plafonnement des indemnités de licenciement du barème Macron. Ce qui, pour le coup, est vraiment très « fun & pro » !