PRUD'HOMMES - Bientôt la fin du contentieux prud'hommal ?
Au vu des chiffres en baisse concernant les affaires portées devant les prud'hommes, le délai de jugement et le taux d'appel, il semble que cette justice paritaire ait du plomb dans l'aile. Pourquoi en est-on arrivé là ? Et pour quelles raisons les cadres représentent encore un quart des saisines prudhommales ?
Explications.
Deux fois moins de nouvelles affaires devant les conseils de prud'hommes en 10 ans
1/ Des procédures aux conseils de prud'hommes trop longues et trop coûteuses
2/ L'introduction des ruptures conventionnelles a limité peu à peu le recours aux prud'hommes
3/ Une réforme de la saisine des prud'hommes qui dissuade les salariés les moins aguerris
4/ Un barème Macron jugé peu « rentable » par les justiciables
Pourquoi les cadres continuent de saisir les conseils de prud'hommes ?
Ils témoignent
- Éric Rocheblave, avocat spécialiste en droit du travail et de la Sécurité Sociale.
- Félix Guinebretière, avocat au sein du cabinet Alkemist (défense des salariés)
Parce que des chiffres valent mieux que de longs discours, voici l'évolution des nouvelles affaires portées devant les Conseils de prud'hommes entre 2013 et 2021 (derniers chiffres publiés mi-juin 2023) :
Année | Nbre affaires nouvelles aux prud'hommes |
---|---|
2013 | 204 212 |
2014 | 186 352 |
2015 | 184 096 |
2016 | 149 806 |
2017 | 126 693 |
2018 | 119 669 |
2019 | 118 573 |
2020 | 102 696 |
2021 | 103 141 |
Source : ministère de la Justice, 2023
On le voit en 10 ans, le nombre de saisines des conseils de prud'hommes a quasiment été divisé par deux. Est-ce à dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes de l'entreprise ? Exit le harcèlement, les licenciements abusifs, les discriminations… Malheureusement, il n'en est rien.
En réalité, saisir les prud'hommes est devenu plus compliqué et moins « payant » pour les salariés (sauf les cadres, cf plus loin). Alors, ils lâchent l'affaire et ne demandent plus nécessairement réparation pour les préjudices subis. A cela plusieurs explications :
1/ Des procédures aux conseils de prud'hommes trop longues et trop coûteuses
Malgré une baisse du nombre de contentieux aux prudhommes, le délai de traitement des dossiers s'allonge : 16,3 mois en moyenne en 2021 selon un rapport de la Cour des comptes sur les Conseils de Prud'hommes publié mi-juin.
Et cette latence empire : elle n'était que 9,9 mois en 2009. Le manque de personnel, le manque de formation mais aussi des affaires de plus en plus complexes expliquent également ce chiffre en baisse.
« Les dossiers de harcèlement ou de discrimination par exemple ne sont pas soumis au barème Macron. Donc dans certaines affaires, nous essayons de faire preuve de créativité afin de contourner ces indemnités plafonnées. Ce qui donne des dossiers plus complexes. Souvent trop complexes à trancher pour les conseillers prud'hommaux, qui rappelons-le ne sont pas des magistrats professionnels, et ne sont pas forcément très équipés pour rendre une justice rapide et de bon niveau », explique un avocat spécialisé en droit du travail.
Mécontents des jugements rendus en première instance, les salariés ou les employeurs font appel. En 2021, le taux d'appel aux prud'hommes s'élevait à 63%. La durée moyenne des affaires en appel étant en moyenne de 25 mois. « C'est souvent en appel que le vrai dossier juridique commence», regrette Félix Guinebretière, avocat au sein du cabinet Alkemist (défense des salariés).
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2/ L'introduction des ruptures conventionnelles a limité peu à peu le recours aux prud'hommes
C'est en 2008 que la rupture conventionnelle voit le jour. Ce mode de rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié ou de l'employeur ne résout pas les conflits mais permet aux salariés d'être éligibles aux allocations chômage une fois partis de l'entreprise.
En signant des ruptures conventionnelles, les employeurs disent en substance " je ne vous licencie pas pour faute grave afin de ne pas vous priver de vos indemnités de licenciement mais en retour vous ne nous attaquez pas aux prud'hommes". En réalité, les entreprises achètent les litiges.
Éric Rocheblave, avocat spécialiste en droit du travail et de la Sécurité Sociale.
3/ Une réforme de la saisine des prud'hommes qui dissuade les salariés les moins aguerris
Depuis le 1er août 2016, la saisine du Conseil de Prud'hommes doit se faire par une requête motivée, accompagnée de son bordereau et des pièces, remises ou adressées au greffe.
« Avant, un salarié pouvait saisir lui-même le conseil de prud'hommes par voie orale. Ce n'est plus le cas. Même s'il n'est pas inabordable, le nouveau mode de saisine peut dissuader », reconnait Félix Guinebretière.
"Mais attention, le contentieux employeurs/salariés s'est peut-être déplacé ailleurs notamment devant le pôle social des tribunaux judiciaires à travers l'augmentation des contentieux de la contestation des accidents du travail, des maladies professionnelles, des fautes inexcusables des employeurs… La saisine de cette juridiction peut être orale et n'impose pas la présence d'un avocat. Les procédures sont également longues mais le justiciable y obtient réellement réparation." Éric Rocheblave
4/ Un barème Macron jugé peu « rentable » par les justiciables
"Le dernier coup de massue a été le barème Macron qui plafonne les indemnités prud'hommales en fonction de l'ancienneté des salariés. Ce barème donne un blanc-seing aux employeurs pour mal se comporter avec leurs salariés pendant deux ans. Avec cette ancienneté, les travailleurs n'ont pas intérêt à saisir un conseil de prud'hommes."Félix Guinebretière, avocat au sein du cabinet Alkemist (défense des salariés)
Même si ce barème fait l'objet de nombreuses jurisprudences, il n'empêche que, pour la plupart des justiciables, le jeu n'en vaut plus la chandelle. Des sommes dérisoires (et longues à percevoir) desquelles il faut évidemment défalquer les frais d'avocat, en général équivalents à un mois de salaire.
Pourquoi les cadres continuent de saisir les conseils de prud'hommes ?
"Les cadres vont aux prud'hommes pour gagner de l'argent. Pas 5000 euros mais plutôt 50 000 euros... Dans cette instance, la justice est rendue via l'indemnisation."
Éric Rocheblave.
Si les cadres continuent de saisir les prud'hommes, c'est évidemment qu'ils ont beaucoup plus à y gagner que les autres salariés. Voici les principales raisons :
- Le barème Macron correspond à un nombre de mois de salaire et la rémunération des cadres est plus importante que celles des autres CSP.
- Les cadres sont également plus au fait des recours existants en cas de licenciement abusifs, de harcèlement…
- « En interne, ils sont également moins isolés que les autres, ils ont donc plus de facilités à faire témoigner leurs collègues en leur faveur afin de se constituer une défense solide », observe Éric Rocheblave.
- Les dossiers portés par les cadres sont aussi plus complexes et sont plus « propices » à contourner le barème Macron. Rappelons que le harcèlement moral, sexuel, la discrimination, etc., échappent à ce barème. Donc à la clé une indemnisation potentiellement plus conséquente.
- Enfin, la situation de quasi plein emploi pour les cadres (pas pour tous évidemment, nous ne sommes pas dupes), leur permet mener de front un retour à l'emploi et de se faire justice.
"Les cadres sont globalement plus employables que les autres salariés, donc financièrement, il est plus aisé pour eux d'attendre parfois deux ans la décision du conseil des prud'hommes ou de la cour d'appel."
Félix Guinebretière.
Source : Déclin des saisines prudhomales : pourquoi les salariés les sollicitent moins - Cadremploi