Ruptures non conventionnelles !

Jurisprudence. 

La loi du 25 juin 2008 institue la rupture conventionnelle comme nouveau mode de rupture du contrat de travail. Un contentieux naissant en la matière au niveau des cours d'appels, laisse planer le doute sur de nombreuses questions, dans l'attente des décisions de la Cour de cassation.

La rupture conventionnelle permet à l'employeur et au salarié liés par un contrat de travail à durée indéterminée de « s'accorder » sur leur séparation en signant une convention de rupture. Elle concerne toutes les ruptures de contrat à l'exception de celles résultant des accords collectifs de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et celle résultant des plans de sauvegarde de l'emploi (Voir RPDS n° 776, la rupture conventionnelle du contrat de travail par L. Milet). Elle échappe aux règles du licenciement mais ouvre droit pour le salarié aux allocations chômage.

La rupture conventionnelle ne fait pas l'unanimité. Répondant à l'origine à une demande essentiellement patronale elle n'est pas sans risque pour le salarié qui peut vouloir quitter son emploi en raison d'une situation devenue intenable avec son employeur. De plus, proposée par l'employeur, elle peut facilement cacher un licenciement illicite ou sans cause réelle et sérieuse.
Le dispositif connait certes un franc succès mais l'objectif « de minimiser les contentieux » est un échec. Les litiges sont fort nombreux, en voici quelques exemples.

Un formalisme et une procédure peu protecteurs

Etant un mode de rupture autonome, la rupture conventionnelle obéit à des règles spécifiques mais peu contraignantes en termes de procédure. C'est la raison pour laquelle les employeurs y sont favorables. Selon l'article L. 1237-12 du code du travail, c'est à l'issue d'un ou plusieurs entretiens que doit être signée la convention de rupture. Le danger étant que l'employeur veuille négocier rapidement la rupture laissant ainsi peu de temps au salarié pour se renseigner sur l'étendue de ses droits, surtout si une seule négociation a lieu. Outre le fait qu'au moins quatre entretiens sont, à notre avis, indispensables, un délai de réflexion suffisant est impératif entre la convocation et l'entretien lui-même pour permettre au salarié de se faire assister. Sur ce point y-a-t-il une obligation pour l'employeur d'informer le salarié sur la possibilité de se faire assister ? La position des cours d'appel divergent : les unes prétendent que l'employeur n'a aucune obligation envers le salarié (Appel Nîmes, 12 juin 2012, n° 11-00120.), les autres préconisent le contraire. En effet, l'employeur doit pouvoir démontrer qu'il a préalablement informé le salarié de ses droits et de la possibilité de se faire assister (Appel Reims, 9 mai 2012, n°10-01501). Cette position, plus favorable au salarié, est aussi celle de l'administration (Circ. 2012-7 du 30 juillet 2012.).

Une fois la rupture conventionnelle signée, le salarié doit recevoir un double de la convention, à défaut, sa nullité est encourue (Appel Lyon, 23 sept. 2011, n°10-09122). Dès le lendemain de la signature, chacune des parties a un délai de rétractation de 15 jours (calendaires) pour y renoncer (par lettre recommandée avec accusé de réception voire par mail (Appel Bourges, 16 sept. 2011, 10-01735). A l'issue de ce délai l'employeur ou le salarié envoie un exemplaire de la convention pour homologation à l'administration (DIRECCTE). L'administration doit veiller au respect de ce délai car un délai plus court annule la convention et la rupture est un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Appel Lyon, 26 aout 2011, n° 11-00551). L'administration a alors 15 jours seulement pour étudier la convention, c'est peu, sachant que l'homologation est une condition de validité de la convention. L'homologation est acquise dans le silence de l'administration. Si, avant l'homologation, l'employeur veut modifier la convention, il doit remplir un autre formulaire à faire signer par le salarié (Appel Amiens, 18 avril 2012, n° 11-02584 ; Appel Grenoble, 30 mai 2012, n° 11-02461).

Un point fait débat : celui de la mention « lu et approuvé » sur le formulaire de demande d'homologation de la rupture. Ce formalisme est rendu obligatoire par l'administration. Pour la cour d'appel de Lyon, la rupture conventionnelle est nulle si le salarié n'y a pas apposé la mention « lu et approuvé », gage de son libre consentement (Appel Lyon, 23 sept. 2011, précitée.). Ce n'est pas la position de la cour d'appel de Reims qui considère que seule la signature oblige les parties (Appel Reims, précitée.).

L'importance du consentement du salarié

La souplesse du formalisme ne permet pas de garantir au mieux les intérêts des salariés même si en théorie, la convention signée entre le salarié et l'employeur doit garantir la liberté de leur consentement (Art. L. 1231-1 et L. 1237-11 du code du travail). En cas de vice avéré du consentement (dol, erreur, violence), la rupture est nulle.
Voici quelques exemples mettant en cause le consentement du salarié.
– est requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse la rupture conventionnelle d'un salarié, illettré et en congé le jour de la signature ; il ne peut disposer de la compréhension orale et écrite suffisante pour signer une telle convention (Appel Amiens 13 juin 2012, n° 11-03684) ;
– est vicié pour erreur (article 1110 du code civil) le consentement du salarié qui n'aurait pas contracté la convention si l'employeur l'avait informé qu'il ne bénéficierait pas de l'allocation chômage ni en France ni au Luxembourg en cas de déménagement ; la rupture s'avère donc nulle (Appel Nancy, 14 sept. 2012, n°11-01850) ;
-est altéré le consentement du salarié qui signe une rupture conventionnelle alors qu'il n'est pas payé depuis des mois. Le salarié n'a pas consenti au principe de la rupture qui résulte en réalité de l'inexécution fautive des obligations de son employeur (CPH de Chalon sur Saône, 25 avril 2012, Droit Ouvrier 2012, n°771, note A. Ferrer.).

Controverse autour du contexte conflictuel de la rupture

La rupture conventionnelle n'est pas valable s'il existe un différend entre l'employeur et le salarié au moment de la rupture (Appel Riom, 8 février 2011, n°10-00131). Tel est le cas des reproches faits au salarié avant la conclusion de la rupture (Appel Versailles, 15 déc. 2011, n° 10-06409), mais non des avertissements qui ne sont que la manifestation du pouvoir disciplinaire de l'employeur (Appel Paris, 22 fév. 2012, n° 10-04217).

La question de la suspension du contrat de travail

En principe, la rupture conventionnelle du contrat de travail est interdite pendant la suspension du contrat de travail dès lors que le licenciement est lui-même illicite pendant cette période. C'est le cas notamment lorsque la rupture intervient alors que le salarié est en arrêt de travail suite à un accident du travail. La rupture conventionnelle est alors nulle (Appel Aix en Provence, 3 avril 2012, n° 11-05043). De même, proposer la rupture conventionnelle de son contrat à un salarié sur le point d'être déclaré inapte est proscrit. L'intention réelle de l'employeur étant d'échapper à ses obligations vis à vis du salarié (Appel Poitiers, 28 mars 2012, n° 10-02441). Rappelons que cette position des juges du fond est conforme à l'esprit de la circulaire de la DGT du 22 juillet 2008 laquelle précise que la rupture conventionnelle ne doit pas permettre à l'employeur de contourner les procédures légales et garanties s'attachant aux salariés.

Par contre, si durant la suspension du contrat le salarié ne bénéficie d'aucune protection particulière, la rupture conventionnelle est possible (Circ. DGT n° 2009-04 du 17 mars 2009). Il s'agit des hypothèses où le salarié est en congé parental d'éducation (Appel Nîmes, précité.), sabbatique, sans solde, mais aussi, en arrêt de travail suite à une maladie ou un accident non professionnel. Le consentement du salarié doit alors être libre et éclairé (Appel Rennes, 23 mars 2012, n° 10-06873). Ainsi, si l'employeur pousse le salarié à consentir à la rupture de manière trop précipitée, la rupture encourt la requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse (Appel Amiens, 11 janv. 2012, n° 11-00555).

L'indemnité spécifique de rupture

Elle est prévue par les parties dans la convention de rupture. Elle ne peut être inférieure à l'indemnité légale de licenciement ou à l'indemnité de la convention collective si elle est plus favorable. La circulaire du 17 mars 2009 (précité) prévoit que si le salarié a moins d'un an d'ancienneté, cette indemnité est due au prorata du nombre de mois de présence. Mais, la cour d'appel de Montpellier a admis que la convention homologuée puisse prévoir une indemnité à zéro euro (Appel Montpellier, 1er juin 2011, n° 10-06114). Une décision aberrante que la Cour de cassation ne manquera pas, selon nous, de remettre en cause
De plus, si l'employeur ne verse pas le montant des indemnités, la rupture n'est pas pour autant nulle car la nullité ne s'apprécie qu'au stade de la formation de la convention ( Appel Reims, 16 mai 2012, n° 11-00624 ; Appel Colmar, 14 juin 2012, n° 11-00239.).
Par ailleurs, en travaillant au-delà du délai de rupture, les parties renoncent à la rupture conventionnelle en elle-même. Le contrat se poursuivant, l'indemnité de rupture n'est pas due (Appel Nancy, 15 juin 2012, n°11-02034).

Les autres droits après la rupture

En fonction des entreprises, le salarié peut continuer à bénéficier du maintien de certains droits en matière de santé et de prévoyance comme s'il était toujours salarié. Il doit en être informé par l'employeur. Il en est de même pour son DIF (Appel Bordeaux, 22 mai 2012, n° 11-05856).
L'employeur doit remettre au salarié tous les documents obligatoires de fin de contrat comme s'il s'agissait d'un licenciement : le solde de tout compte, le certificat de travail, l'attestation Pôle emploi. Cette dernière permet au salarié de percevoir les allocations chômage. Mais encore faut-il que la convention ait été homologuée par l'administration, à défaut, le salarié ne peut pas percevoir les allocations chômage (Appel Paris, 6 avril 2012, n° 11-06828).
Après la rupture du contrat, il est possible qu'une clause de non concurrence puisse continuer à s'appliquer même si elle a été conclue lors de la rupture conventionnelle (Appel Bordeaux, 6 mars 2012, n° 11-01545).

SALARIE PROTEGE

Procédure particulière

Elle devrait être interdite car elle est une occasion pour l'employeur de harceler voire discriminer le salarié protégé en le poussant à signer une rupture conventionnelle. Cependant, elle est prévue par la loi. En voici les règles, qui diffèrent du droit commun.
La rupture conventionnelle n'est pas soumise à l'homologation de la DIRECCTE mais à la consultation du comité d'entreprise s'agissant des élues et à l'autorisation de l'inspecteur du travail (Appel de Chambéry, 6 mars 2012, n°10-02394). Sont concernés aussi bien les salariés déjà détenteurs d'un mandat représentatif que ceux qui ont demandé l'organisation des élections, les candidats aux élections et les anciens titulaires d'un mandat, les représentants de la section syndicale et les médecins du travail (Circ. DGT n° 2012-07 du 30 juillet 2012).

L'inspecteur du travail doit rencontrer les deux parties (Art.R. 2421-4 du code du travail) et dispose de 15 jours dès le lendemain de la demande pour autoriser la rupture. S'il autorise la rupture du contrat, il doit y faire figurer les mandats détenus par le salarié, à défaut, la convention est annulée pour vice de forme (Appel Aix en Provence, 13 sept. 2012, n° 10-23292). Généralement, le recours de l'une des parties contre la décision de l'inspecteur du travail doit s'effectuer devant le tribunal administratif ou le ministre chargé du travail, mais s'agissant de la contestation de la rupture, le conseil des prud'hommes reste compétent (Appel Riom, civ. 13 sept. 2011, n°10-00964). 


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