Comment rompre son contrat de travail aux torts de l'employeur : La résiliation judiciaire

La résiliation judiciaire est un mode de rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié et exceptionnellement de l'employeur.


Elle permet de rompre le contrat de travail aux torts de l'employeur sans risque de voir cette rupture requalifiée en démission. Mais elle présente l'inconvénient pour le salarié de rester présent dans l'entreprise et d'y travailler alors que dans le même temps l'instance est en cours. Le salarié risque alors de subir des pressions de la part de son employeur.

Ce mode de rupture ne trouve pas son fondement dans le Code du travail mais à l'article 1217 du Code civil. Il consiste à saisir le conseil de prud'hommes pour faire constater la rupture du contrat de travail en raison de manquements de l'autre partie à l'une de ses obligations contractuelles.


I – Qui peut demander la résiliation judiciaire ?

*Le salarié
Tout salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail, que celui-ci soit à durée indéterminée ou déterminée. La Cour de cassation a considéré que ce mode de rupture était également ouvert aux salariés protégés (Cass. soc. 16 mars 2005, n° 03-40251).

*L'employeur
Principe. l'employeur ne peut jamais demander la résiliation judiciaire du contrat de travail d'un salarié protégé (Cass. ch. mixte, 21 juin 1974, n° 71-91225).
Après avoir admis cette demande pour les salariés non protégés, la Cour de cassation a finalement décidé que ce mode de rupture n'était pas non plus ouvert à l'employeur, y compris par voie de demande reconventionnelle, car celui-ci dispose déjà de la faculté de résilier unilatéralement le contrat de travail en cas de manquements du salarié à ses obligations (Cass. soc. 13 mars 2001, n° 98-46411).
L'exercice de cette action par l'employeur s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse pour un contrat à durée indéterminée (Cass. soc. 5 juil. 2005, n° 03-45058), ou en une rupture anticipée du contrat à durée déterminée (Cass. soc. 15 juin 1999, n° 98-44295).
Une fois le conseil de prud'hommes saisi, l'employeur ne peut plus revenir dessus pour régulariser la situation: le licenciement intervenu ultérieurement à la saisine est dépourvu d'effet (Cass. soc. 5 juil. 2005, n° 03-45058).

Exceptions. le Code du travail prévoit cependant la possibilité pour l'employeur de former une demande de résiliation judiciaire:

  • pour les salariés en contrat d'apprentissage, après les deux premiers mois de travail ( L. 6222-18 du Code du travail);
  • pour les salariés en contrat à durée déterminée victimes d'une inaptitude d'origine professionnelle constatée par le médecin du travail, et dont le reclassement est impossible ou a été refusé par le salarié ( L. 1226-20 du Code du travail).

Impossibilité. La cour de cassation exclut l'action qui viserait à contourner le licenciement du salarié. Il appartient donc à l'employeur qui reproche au salarié un comportement fautif de le licencier (Cass. soc. 29 juin 2005 n°03-41966).

Attention. La formation de référés du conseil de prud'hommes n'est pas compétente pour ordonner la résiliation judiciaire du contrat de travail, même si le demandeur soutient le trouble manifestement illicite (Cass. soc. 13 mai 2003 n°01-17452).


II – Des manquements d'une «gravité suffisante»

Le conseiller prud'homal doit vérifier que les manquements aux obligations contractuelles invoqués sont d'une «gravité suffisante» pour justifier la constatation par le juge de la rupture du contrat de travail.
Exemples de manquements d'une «gravité suffisante»:


La gravité n'étant pas suffisante, la résiliation judiciaire n'a pas été admise:

  • Lorsque la modification de la rémunération n'avait pas eu une incidence défavorable sur le salaire ou correspondait à une faible partie du salaire, ce qui n'empêchait pas la poursuite des relations de travail (Cass. Soc. 12 juin 2014 n°12-29063).
  • Sur le défaut de visite médicale de reprise, alors qu'elle avait eu lieu lors de précédents arrêts de travail et que la poursuite du travail s'était déroulée pendant plusieurs mois (Cass. Soc. 26 mars 2014 n° 12-35040).

Lors de la demande de résiliation judiciaire d'un contrat d'apprentissage, le juge doit vérifier que le salarié ou l'employeur a commis une faute grave ou un manquement répété à ses obligations contractuelles, ou que l'apprenti est inapte à exercer le métier auquel il voulait se préparer (Art. L. 6222-18 du Code du travail).

Lorsque l'employeur demande la résiliation judiciaire du contrat de travail à durée déterminée du salarié victime d'une inaptitude d'origine professionnelle, le tribunal doit vérifier les motifs invoqués (Art. L. 1226-20 du Code du travail) et s'assurer de l'impossibilité du reclassement ainsi que de la validité de la procédure de déclaration d'inaptitude. 


À noter
Les manquements de l'employeur à ses obligations concernent les obligations contractuelles au sens large, c'est-à-dire également les obligations légales et conventionnelles. Ils sont similaires aux manquements pouvant justifier la prise d'acte de la rupture à l'initiative du salarié.
La Cour de cassation n'opère pas de contrôle sur la nature de ces manquements, l'appréciation de la «gravité suffisante» relevant du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. soc. 15 mars 2005, n° 03-41555).


III – Les effets de la résiliation judiciaire

Si les manquements ne sont pas avérés, la procédure n'a aucun effet sur le contrat de travail, qui continue à être normalement exécuté.
La résiliation judiciaire prononcée à l'initiative du salarié et aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 17 mars 1998, n° 96-41884).
Si la résiliation judiciaire a été demandée par un salarié protégé et si les manquements sont avérés, la rupture doit être qualifiée en licenciement nul puisque l'employeur n'a pas respecté la procédure de licenciement propre aux salariés protégés (Cass. soc. 26 sept. 2006, n° 05-41890).
Si les manquements sont avérés, la Cour de cassation considère que la rupture du contrat de travail prend effet au jour du jugement prononçant la résiliation judiciaire, dès lors qu'à cette date le salarié est toujours au service de son employeur (Cass. soc. 11 janv. 2007, n° 05-40626).
Lorsque l'employeur demande la résiliation judiciaire du contrat de travail à durée déterminée du salarié victime d'une inaptitude d'origine professionnelle, le tribunal doit fixer une compensation financière pour le salarié (Art. L. 1226-20 du Code du travail).

À noter
La résiliation judiciaire présente l'inconvénient de permettre à l'employeur de demander au juge la condamnation du salarié pour procédure abusive. Mais la demande peut ne pas être justifiée sans pour autant être abusive. Si la procédure est abusive, l'employeur doit de plus démontrer qu'il a subi un préjudice.IV – Succession de différents modes de rupture

*Résiliation judiciaire suivie d'une prise d'acte
Si le salarié a saisi le juge d'une demande de résiliation judiciaire puis a pris acte de la rupture de son contrat de travail, il n'y a plus lieu à statuer sur la première demande. Le juge statue sur la prise d'acte mais doit, pour en vérifier le bien fondé, prendre également en considération les faits invoqués en soutien de la demande de résiliation judiciaire. Le contrat est ensuite considéré comme rompu à la date de la prise d'acte de la rupture (Cass. soc. 31 oct. 2006, n° 04-46280).

*Licenciement suivi d'une demande de résiliation judiciaire
Lorsque le salarié est licencié, et qu'il introduit après une demande de résiliation judiciaire, le juge doit prendre en compte les griefs invoqués par le salarié pour apprécier le bien fondé du licenciement, dès lors qu'ils sont de nature à avoir une influence sur cette appréciation (Cass. soc. 20 déc. 2006, n° 05-42539).

*Résiliation judiciaire suivie d'un licenciement
Si le salarié a été licencié après avoir formé une demande de résiliation judiciaire, le juge doit d'abord statuer sur la demande de résiliation judiciaire. Ce n'est que si cette dernière est infondée que le juge se prononce sur la validité du licenciement (Cass. soc. 7 fév. 2007, n° 06-40250).
Le licenciement ne doit pas être motivé par la saisine du conseil de prud'hommes par le salarié, celle-ci ne peut constituer une cause de licenciement (Cass. soc. 21 mars 2007, n° 05-45392).
Si la demande de résiliation judiciaire est justifiée, la Cour de cassation, par souci de simplification, considère que le contrat est rompu à la date d'envoi de la lettre de licenciement (Cass. soc. 15 mai 2007, n° 04-43663). L'évaluation des droits du salarié doit donc se faire à cette date.



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