Quitter son emploi aux torts de l'employeur : la prise d'acte de la rupture
La prise d'acte de la rupture du contrat de travail permet au salarié de quitter son emploi en informant son employeur qu'en raison de faits commis par ce dernier, il considère le contrat comme rompu. Ce mode de rupture du contrat de travail est plus simple que la demande de résiliation judiciaire puisque le salarié ne se trouve plus dans l'entreprise au jour de l'instance. Il prend cependant le risque de voir sa prise d'acte produire les effets d'une démission.
I – Qui peut prendre acte de la rupture ?
*Le salarié
En principe, la prise d'acte à l'initiative du salarié est admise par les juges lorsque le manquement de l'employeur est suffisamment grave empêchant la poursuite du contrat de travail (Cass.soc. 26 mars 2014 n°12-23634).
Le salarié protégé en contrat à durée indéterminée peut également prendre acte de la rupture de son contrat de travail (Cass. soc. 21 janv. 2003, n° 00-44697). Celle-ci constitue un licenciement nul si les faits reprochés à l'employeur sont de nature à la justifier.
Pour le salarié en contrat de travail à durée déterminée ou temporaire, la rupture anticipée (avant l'échéance du terme) du contrat de travail est acceptée en présence d'une faute grave de l'employeur (Cass. soc. 30 mai 2007, n° 06-41240). La jurisprudence n'exclut pas expressément la possibilité de prendre acte de la rupture mais les termes utilisés semblent renvoyer à la rupture anticipée prévue par la loi, écartant ainsi la prise d'acte. Un salarié en CDD qui prend acte de la rupture de son contrat en raison de l'inexécution fautive de son employeur doit donc démontrer que ces comportements constituent des fautes graves au point de rendre immédiatement impossible la poursuite du contrat, notion qui semble plus restrictive que celle de manquements suffisamment graves justifiant la prise d'acte.
* L'employeur ne peut pas prendre acte
La Cour de cassation a jugé que l'employeur ne peut pas prendre acte de la rupture du contrat de travail. Le salarié qui manque à l'une de ses obligations, par exemple s'il ne vient plus travailler donc commet une faute, l'employeur peut le licencier. Il ne peut le considérer comme démissionnaire car la démission ne se présume pas (Cass. soc. 25 juin 1992, n° 88-42498).
L'employeur qui considère le contrat rompu du fait du salarié doit donc mettre en oeuvre la procédure de licenciement. À défaut, la rupture s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans que les juges aient à rechercher si les faits reprochés au salarié sont justifiés (Cass. soc. 25 juin 2003, n° 01-40235).
II – Des manquements « suffisamment graves »
La prise d'acte de la rupture du contrat de travail est justifiée si le salarié apporte la preuve que l'employeur a manqué de manière « suffisamment grave » à ses obligations légales, conventionnelles ou contractuelles pour justifier la rupture aux torts de l'employeur (Cass. soc. 19 janv. 2005, n° 03-45018). Ces manquements sont dans une large mesure similaires à ceux justifiant une résiliation judiciaire du contrat de travail (voir La rupture du contrat de travail : La résiliation judiciaire).
Exemples de manquements suffisamment graves :
- modification unilatérale du contrat de travail ( soc. 3 juin 2009, n° 07-43778) ;
- non-respect de l'obligation de fournir le travail convenu ( soc. 30 juin 2009, n° 08-42751) ;
- non-respect de l'obligation de faire passer une visite médicale de reprise ( soc. 16 juin 2009, n° 08-41519) ;
- faits répétitifs constitutifs de violences morales et psychologiques ( soc. 26 janv. 2005, n° 02-47296) ;
- usage abusif de la clause de mobilité ( soc. 16 sept. 2009, n° 07-45725) ;
- manquement à l'obligation de sécurité de résultat en matière d'hygiène et de sécurité, notamment de lutte contre le tabagisme passif (Cass. soc. 29 juin 2005, n° 03-44412).
- manquement à l'obligation de sécurité de résultat en raison d'agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par un ou l'autre de ses salariés même s'il a pris des mesures pour faire cesser ces agissements (Cass. Soc 19 janv.2012 n°10-20935).
- pour des faits commis par l'employeur en dehors des lieux et temps de travail (Cass. Soc. 19 janv.2012 n°10-20935).
La lettre de prise d'acte ne fixe pas les limites du litige (Cass. soc. 16 sept. 2009, n° 07-42919). Le juge doit donc examiner tous les nouveaux faits présentés par le salarié durant la procédure.
La Cour de cassation a considéré que le salarié pouvait prendre acte de la rupture de son contrat alors même qu'il a déjà agi en justice pour faire exécuter l'obligation méconnue, ou une obligation différente (Cass. soc. 21 déc. 2006, n° 04-43886).
Le juge des référés n'a pas le pouvoir de se prononcer sur l'imputabilité de la rupture du contrat de travail (Cass. soc. 11 mai 2005, n° 03-45228). Dans cette affaire, un salarié qui avait pris acte de la rupture de son contrat de travail, avait saisi la formation des référés pour se faire allouer une provision sur les sommes dues en raison du licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le juge des référés avait accordé cette provision, ce qui supposait que son employeur n'avait pas respecté une obligation dont l'existence n'était pas sérieusement contestable (Art. R. 1455-7 du C.T.). Or la Cour de cassation a décidé que l'imputabilité de la rupture du contrat étant une obligation sérieusement contestable, le juge des référés n'était pas compétent.
III – Les effets de la prise d'acte de la rupture
La Cour de cassation avait d'abord jugé que la prise d'acte de la rupture par le salarié s'analysait automatiquement en un licenciement sans cause réelle et sérieuse même si, en définitif, les griefs invoqués n'étaient pas fondés (Cass. soc. 26 sept. 2002, n° 00-41823). Face aux critiques de cette possibilité d'« auto-licenciement », la Cour est finalement revenue sur cette approche.
La prise d'acte produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission (Cass. soc. 25 juin 2003, n° 01-42679).
*Prise d'acte justifiée :
Indemnités. Le juge condamne l'employeur à verser au salarié une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse s'il en remplit les conditions (au moins deux ans d'ancienneté et entreprise d'au moins onze salariés) ou pour licenciement abusif dans le cas contraire, fixée en fonction du préjudice subi.
Le conseil peut aussi condamner l'employeur à verser au salarié des dommages-intérêts pour licenciement brusque et vexatoire s'il s'avère que l'employeur a eu un comportement fautif (Cass. soc. 16 mars 2010, n° 08-44094).
Ne sont pas dues. Les indemnités pour non-respect de la procédure de licenciement. La prise d'acte n'étant pas un licenciement, même si elle est justifiée.
Pour le salarié protégé. La prise d'acte produit alors les effets d'un licenciement nul, puisque l'employeur n'a pas respecté la procédure de licenciement propre aux salariés protégés (Cass. soc. 11 fév. 2009, n° 07-44687). Le salarié a droit à une indemnité pour violation du statut protecteur (salaire en principe versé jusqu'à l'expiration de la période de protection en cours dans la limite de 30 mois) et à une indemnité pour rupture du contrat de travail au minimum égale à six mois de salaire, quels que soient l'ancienneté du salarié et l'effectif de l'entreprise.
Prise d'acte et la rétractation. La rupture prend effet immédiatement. Le contrat est donc réputé rompu à cette date (Cass. soc. 30 janv. 2008, n° 06-14218). Le salarié ne peut donc pas se rétracter. La formulation de la Cour de cassation semble sous-entendre que la rétractation n'est pas possible même avec l'accord de l'employeur (Cass. soc. 14 oct. 2009, n° 08-42878).
Licenciement par l'employeur. Celui-ci ne peut pas non plus régulariser la rupture en licenciant ultérieurement le salarié pour une cause réelle et sérieuse, puisqu'on ne peut rompre un contrat déjà rompu (Cass. soc. 19 janv. 2005, n° 03-45018). La rupture est consommée même si la procédure de licenciement avait été enclenchée auparavant, par exemple si le salarié avait été convoqué à un entretien préalable à licenciement (Cass. soc. 28 juin 2006, n° 04-43431).
Préavis. Si la prise d'acte de la rupture est justifiée, le salarié n'est pas tenu d'exécuter son préavis et peut donc se prévaloir de l'indemnité compensatrice de préavis. C'est donc à la date de la prise d'acte que le certificat de travail et l'attestation Pôle emploi sont exigibles (Cass. soc. 4 juin 2008, n° 06-45757).
Droits du salarié. Le salarié peut obtenir des dommages et intérêts pour la perte de chance de bénéficier de ses droits au DIF et de la portabilité de son régime de prévoyance (Cass. Soc. 2 mars 2016 n°14-18334). La clause de dédit formation ne s'applique pas en dépit du fait que l'initiative de la rupture revient au salarié (Cass.soc.11 janv.2012 n° 10-15481). Le salarié VRP a droit au paiement de son indemnité de clientèle (Cass. Soc. 31 mars 2016 n°15-10630).
*Prise d'acte injustifiée :
Lorsque les reproches formulés contre l'employeur sont infondés la rupture produit l'effet d'une démission. Dans ce cas, le salarié pourra être tenu de dédommager son employeur pour non-respect du préavis (Cass. Soc. 31 mars 2016 n°14-24881). Le salarié peut être condamné à des dommages et intérêts si son comportement est assimilé à un acte déloyal tel que le détournement de clientèle (Cass. Soc. 17 fév. 2004 n°01-42427). La clause de dédit formation devra donc être remboursée à l'employeur. Les juges estiment que la clause ne peut être mise en œuvre que si la rupture du contrat de travail est imputable à l'employeur (Cass. Soc. 11 janv. 2012 n°10-15481).
À savoir aussi :
- Les manquements de l'employeur doivent rendre impossible la poursuite du contrat de travail. Les juges ajoutent donc une condition supplémentaire pour permettre à cette prise d'acte de produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse : les manquements reprochés doivent être suffisamment graves et ils doivent faire obstacle à la poursuite du contrat. (Cass. soc. 30 mars 2010 n° 08-44236.)
- Pour des raisons pratiques, les juges considèrent que le fait pour un salarié d'effectuer son préavis ne prive pas la prise d'acte de ses effets. Ce préavis est sans incidence sur les manquements reprochés. L'objectif étant de ne pas pénaliser un salarié qui par méconnaissance ou par conscience professionnelle proposerait d'effectuer son préavis. (Cass. soc. 2 juin 2010, n° 09-40215.)
- Lorsque le salarié demande la requalification de sa prise d'acte en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'affaire est entendue directement devant le bureau de jugement du Conseil des prud'hommes qui doit statuer dans un délai d'un mois à compter de la saisine (L 1451-1 du code du travail).
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